Renfermant une jolie brochette de créateurs rebelles et allumés, issus des scènes de Montréal et de Québec, Alaclair Ensemble prend forme en 2008 lorsque Mash (Les 2 Toms), KenLo (Movèzerbe) et Maybe Watson (K6A) se réunissent pour un projet musical informel. Le cadet du collectif, Ogden Ridjanovic (alias Robert Nelson) explique : « Au départ, il n’y avait aucune intention de créer un autre groupe ou un projet en particulier. Parfois, des gars passaient en studio et commençaient des chansons que d’autres continuaient.

Plusieurs nous considèrent comme les hommes roses du rap au Québec!

Puis, au printemps 2010, on a découvert qu’une quinzaine de pièces étaient prêtes et que c’était toujours les mêmes individus qui avaient travaillé dessus! Mine de rien, en utilisant ce procédé, les morceaux avaient tous un esprit festif et humoristique. On a décidé de partager le résultat à la bonne franquette. »

Résultat : 500 copies de 4.99$ (vendus au même prix) trouvent preneur. Puis rapidement, on en imprime 500 autres. En septembre, lorsque tous les albums se sont envolés, la bande (complétée par Claude Bégin, Eman et Vlooper) décide d’offrir le tout sur Bandcamp, en téléchargement gratuit. Engouement immédiat. « C’est à partir de là qu’on a senti un intérêt palpable pour le groupe. À la base, le projet était purement ludique, pas très sérieux. Notre salaire, c’était que le monde nous entende. Lorsqu’on a constaté qu’offrir notre musique gratuitement créait un buzz de taille, on a poursuivi dans cette direction. On voyait aussi que ça facilitait la tâche des journalistes. Cela leur donnait une raison de parler de nous. J’ai l’impression que certains furent encouragés lorsqu’ils ont constaté  qu’il n’y avait pas de machine derrière le groupe. Puis, il y a eu un effet de bouche à oreille. Il y a une part de chance également : des copies physiques se sont retrouvées entre bonnes mains, » estime Ogden, également gérant du groupe.

Motivée par la réponse positive du public et de la critique, la troupe de post-rigodon bas-canadien enchaîne en 2011 avec un ambitieux et diversifié triple album, Musique bas-canadienne d’aujourd’hui. Lancé plus tôt cette année, l’éclaté Les maigres blancs d’Amérique du noir se veut le véritable deuxième album du combo. « Simplement parce qu’on était à nouveau tous réunis, contrairement à Musique bas-canadienne d’aujourd’hui. On a voulu reproduire l’aspect nonchalant et fun du premier album, mais en prenant quelques mois plutôt que deux ans et demi. D’abord et avant tout, avec ce gros projet, on partait avec l’idée de se faire du fun. Rien de plus. Le désir que ça reste une grosse partie de plaisir était présent dès le début. On s’est enfermés dans un chalet à Coaticook et on a créé la charpente de plusieurs pièces. C’est sur cet album que l’esprit de gang de chums est véritablement apparu. On écoute l’album et ça se sent. Ça reflète parfaitement le mood qu’il y avait au chalet lors de la période de création, » assure Ridjanovic.

Oscillant entre 25 et 31 ans, les membres d’Alaclair Ensemble ont des liens tissés serrés malgré la distance qui sépare certains d’entre eux. Néanmoins, la composition au sein du sextuor se veut autant un travail collectif qu’individuel. Ogden : « Souvent, ça part d’un beat. Quelqu’un le propose au reste du groupe, puis quelqu’un arrive avec un mot clé. Les autres se mettent au travail et ce mot devient en quelque sorte la colle de la chanson. Comme pour la pièce “Mammifère”, chacun est parti de son côté avec ce mot en tête et s’est mis à écrire, seul dans son coin, ce que ça lui inspirait. On s’est retrouvé avec trois approches et interprétations totalement différentes. Beaucoup de nos chansons fonctionnent comme ça. Règle générale, lorsque quelqu’un rappe, c’est aussi lui qui est responsable du texte qu’il livre. »

Rythmes inventifs et déstabilisants, énergie festive, propos humoristique, délirant et teinté d’engagement politique, proposition tout à fait ludique. Depuis sa formation, Alaclair Ensemble a réjoui de nombreux amateurs de hip-hop francophone. Mais la formation ne fait pas l’unanimité. « On a beaucoup dérangé. Ce qui s’est produit est qu’on a été rejeté de la communauté hip-hop québécoise, mais ça ne nous dérange pas. On l’assume. Plusieurs nous considèrent comme les hommes roses du rap au Québec! Mais ça nous fait rire. La raison pour laquelle on a apposé l’étiquette “post-rigodon” à notre musique était justement pour se dissocier de cette scène. Dans les shows d’Alaclair, peu de spectateurs sont issus de la communauté rap pure et dure. »

En plus de préparer une série de spectacles pour l’automne, les gars songent à retourner s’isoler afin de débarquer avec du nouveau matériel dans un avenir rapproché. Gestionnaire du groupe, Ogden croit que l’avenir est prometteur. « La raison qui fait en sorte que l’on continue est que l’on est optimiste de trouver, éventuellement, une manière pour vivre de la musique. On veut être des pionniers et essayer de montrer qu’il y a d’autres façons de faire. Par exemple, on croit qu’il n’est pas nécessaire de signer un contrat de disque pour vivre de son art. Ce que j’aime, c’est que nous sommes en charge du projet. On ne suit pas une route déjà tracée d’avance. Ma philosophie est de construire brique par brique. Ramasser les petites victoires. Alaclair est le contraire d’un groupe one-hit wonder. Mélanger l’aspect ludique, le plaisir spontané de la création collective à un aspect plus organisé, voilà ce que l’on vise ultimement. »