Ce fameux son de cloche qui tinte frénétiquement au début de la chanson. Cet harmonica qui vous arrache de votre siège. Cette mélodie simple et fédératrice qui en fait un instant d’éternité distillé en 3 min 59 sec. Rudy Caya et Claude Samson ont bien voulu nous confier leurs souvenirs de son inspiration et sa conception, Le train a été élevé au rang de Classique de la SOCAN en 2013 pour ses nombreux passages à la radio.
« C’est le père d’un ami qui m’a inspiré la chanson, raconte Caya qui a grandi à Laval. Il était ce qu’on appelle un patenteux, un esprit libre avec beaucoup d’imagination, mais qui était prisonnier de sa propre vie de travailleur et pourvoyeur de sa famille de cinq enfants, d’où ce besoin viscéral d’embrasser une autre vie et nourrir sa vraie passion ».
« Parce qu’on passe à travers sa vie à coups de journées / La seule chose qu’on veut garder c’est l’droit de rêver. » Texte prolétarien, d’évasion, dont la filiation Born To Run de Bruce Springsteen ou encore mieux Richard Séguin est évidente : « Un jour je vais sauter sur un train / Disparaître au bout du chemin… »
« Rudy nous est arrivé avec trois accords de guitare, se rappelle Samson. On a enregistré Le train très rapidement, spontanément, il ne fallait pas trop y toucher. La toune est en (clé de) sol et l’harmonica est en sol aussi, ce qui aurait dû être une tonalité plus basse, mais c’est le seul harmonica qu’on avait ».
Avec pour résultat que cette ligne d’harmonica est contagieuse, il n’existe pas d’immunité contre elle. « En spectacle, dès que mon harmo sonnait faux, je le lançais dans la foule et j’en sortais un autre de ma poche. C’est arrivé plusieurs fois que le monde regardait Rudy à ces moments-là, je pense qu’il y en a une couple qui l’ont reçu en pleine face ! »
Enregistré au Studio Victor dans le quartier Saint-Henri sous l’œil bienveillant du multi-guitariste Rick Haworth qui a épaulé les cinq novices et échafaudé les arrangements, puis réalisé par Glen Robinson – qui mixa l’album au fameux Studio Morin-Heights (Bowie, The Police, Bee Gees, Rush) qui n’était déjà plus la propriété de son fondateur André Perry, Vilain Pingouin a fait une entrée pour le moins fracassante en 1990 avec Salut Salaud, Marche seul, Sous la pluie et autres brûlots festifs dont Le train.
Du rock à boire ? « En plein ça, j’aimais bien Les Pogues à cette époque et on sent l’influence sur ce premier disque. Certains ont même cru que la chanson Du Rhum des Femmes du groupe français Soldat Louis était de nous ! C’est vrai par contre qu’on avait de la mandoline et de l’accordéon dans notre composition d’instruments lors de cette session. Le train c’est un mix de country-rock, de punk et de chanson. On écoutait beaucoup de Steve Earle ».
Vilain Pingouin a marché sur de hauts sommets avec un premier album qui a reçu plein de nominations au Gala de l’ADISQ en plus du Félix du Groupe de l’année en 1991. Rudy Caya, ex-Les Taches tout comme le batteur Michel Vaillancourt, Claude Samson aux guitares et à l’harmonica, Rodolphe Fortier aux multi-instruments, Frédérick Bonicard et Nicole Beausoleil, qui n’était plus dans le groupe, ont écrit et composé Le train.
Toutes les pistes ont été enregistrées séparément. « Audiogram (le label) était très dirigeant, ce qui était une bonne chose parce que tous ensemble, on sonnait comme un band de garage, se remémore Caya. On avait tous des jobs à 12 piasses de l’heure, 40hrs/semaine. Pour nous Vilain Pingouin c’était d’abord un band de chums », précise-t-il.
« La fameuse cloche, raconte Caya, c’est Michel qui l’avait volé dans un gymnase et il s’en servait comme cendrier ! Samson acquiesce en riant. Il l’avait placée sur son high hat et il s’est inspiré de l’intro de la chanson Oowatanite du groupe rock canadien April Wine. Le train est encore aujourd’hui la dernière chanson de nos spectacles ».
« Il y a quelques versions de la toune sur YouTube, mais ils se cassent tous la gueule, déplore Caya. Il n’y a pas une chanson plus facile à jouer, mais ils essaient de la chanter, pourtant je ne suis pas un chanteur, mais plutôt un interprète. C’est plus slam comme débit. Quand tu as plein de texte à déballer avec une telle cadence, tu ne restes pas longtemps sur la note ! »
Le groupe est en partie éditeur de la chanson qui a évolué avec le temps. Sur le quatrième album de VP, Jeux de mains (2003) on retrouve avec bonheur une nouvelle version de Le train rebaptisée TGV! .
« Le public s’est approprié Le train plus que les autres. Quand le monde me demande si je suis écœuré de jouer Le train, fondamentalement, tu es excité les cinq premières fois que tu la joues en band, t’es fier de toi les 20 premières fois en show. Ensuite ? C’est la toune sur laquelle plusieurs ont mis leurs souvenirs (du groupe) dessus ! ».
Vilain Pingouin, toujours bien actif, rééditera Roche et Roule (1992) en format vinyle en 2021.