Après neuf albums au fil d’une décennie où son succès critique n’a cessé de croître, sans parler de sa carrière d’auteur-compositeur pour d’autres artistes, l’amalgame unique de folk, de country et de pop de Donovan Woods a trouvé son public partout sur la planète. Son nom n’est pas sur toutes les lèvres, mais il a su se bâtir un auditoire dévoué qui écoute chacun de ces textes avec révérence.

Woods a remporté le prix de l’auteur-compositeur anglophone de l’année aux Canadian Folk Music Awards en 2016 et en 2017, il a reçu le prix Folk/Roots de la SOCAN. Deux ans plus tard, il a remporté le JUNO de l’album Roots contemporain de l’année pour Both Ways. Ses chansons ont été enregistrées par des stars de la country comme Tim McGraw et Charles Kelley, le chanteur de Lady A, et il a coécrit des succès country numéro 1 au Canada pour The Reklaws et Chad Brownlee. Il a également coécrit la moitié des chansons de son dernier album, Things Were Never Good If They’re Not Good Now, avec des créateurs de renom comme Amy Wadge (Ed Sheeran, Camila Cabello), David Hodges (Céline Dion, Avril Lavigne) et Chirs Braide (Sia, Beyoncé). On peut dire sans se tromper que sa carrière va plutôt bien.

Donovan Woods, When Our Friends Come Over, Madi Diaz

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Ses chansons évoquent quant à elles le genre de combats intérieurs du quotidien que nous vivons toutes et tous. Porté par une guitare acoustique, des chants feutrés, un saxophone, un quatuor à cordes et des passages parlés – y compris un extrait d’une de ses propres séances de thérapie –, Woods ne décrit pas les vicissitudes romantiques de la jeunesse, ce qui est généralement le pain et le beurre de la musique populaire. Non : il fait de la musique adulte pour les adultes. Les chansons sur Things Were Never Good… parlent des défis du mariage, des sacrifices qu’implique le fait de travailler sans relâche pour subvenir aux besoins d’une famille, des rêves de jeunesse fanés ou abandonnés, d’amis qui meurent et, finalement, de l’inévitabilité même de la mort. Même si tout ça semble déprimant, il sait agrémenter cette lourdeur d’une touche d’humour et de petits détails qui illuminent la vie quotidienne.

« C’est pas tant une question d’où tu te trouves que de ce que tu remarques », explique Woods. « Ces détails font simplement partie du décor de nos vies, mais je pense qu’il peuvent vraiment nous aider à ne pas perdre la tête. Les rituels et des choses comme ça. Aller prendre une marche. Le style d’écriture que je préfère est celui qui te fait sentir en vie, et ce n’est pas juste une question d’émotion, un peu quand tu te fais une tasse de thé même si tu penses juste à t’enlever la vie », dit-il en riant. « Je parle de toutes ces choses qui suivent leur cours même quand tu files super mal… Il faut quand même faire le ménage de la cuisine. »

« Quand t’es adulte, tu continues à gérer les émotions que tu avais à 20 ans… Tu es encore jaloux, tu as encore honte de toi, tu te demandes si ton ou ta partenaire t’aime encore autant qu’avant. Mais en plus de tout ça, faut que tu prépares le lunch de tes enfants. Ces détails prennent un sens différent en vieillissant. Je pense que c’est ça qui fait qu’un bon texte ressemble à ce qui se passe dans ta tête quand tu vis ta vie. Tu dois composer avec ces petits détails même quand tu gères ces montagnes émotionnelles. »

De la même manière, Donovan Woods accueille les contradictions de la vie quotidienne. When Our Friends Come Over, une pièce coécrite et chantée en duo avec Madi Diaz, est interprétée du point de vue d’un couple marié qui raconte comment un souper en compagnie d’un autre couple renouvelle leur amour. Sauf qu’arrivé au pont, « We wake up/and it’s all changed » [librement : « on se réveille/et tout a changé »] le lendemain.

« Je me demande souvent pourquoi je suis incapable d’écrire une chanson qui n’a pas ce genre d’effet surprise dans le pont », confie l’artiste. « Je me demande pourquoi je ne peux pas juste laisser la chanson être belle… C’est moi le pire, j’imagine, mais je pense que je suis allergique au manque de complexité. »

La complexité est en terreau fertile dans l’écriture dense de Woods. En ce sens, il est un peu comme l’auteur américain Raymond Carver, lauréat du prix Pulitzer, qui se décrivait comme « enclin à une intense concision », lui qui avait l’habitude de comprimer des vies entières dans une nouvelle. Dans Back for the Funeral, Woods le fait en cinq couplets riches en détails révélateurs qui pourraient aisément devenir une chanson à part entière s’il le voulait.

Donovan Woods, Back For The Funeral. video

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À preuve : « Katie got divorced / Moved back in with her mom / Needed a fresh start / Dyed her hair blonde » [librement : « Katie s’est divorcée / Elle est retournée vivre chez maman / Elle avait besoin d’un nouveau départ / Elle s’est teint les cheveux en blond »] » Ce qui soulève une question importante : quel est le reste de son histoire? Pourquoi ce divorce? Ou encore : « After the service we’ll all meet up at the bar / Where my dad used to drink / Now he just drinks in the yard » [librement : « Après le service, on se retrouvera tous au bar / Où papa avait l’habitude de boire / Maintenant il ne boit que dans la cour »] Que s’est-il passé avec ton père? Que lui est-il arrivé pour qu’il soit comme ça? Un minimalisme aussi concis transforme rapidement une chanson de trois minutes en quelque chose qui ressemble plus à un roman ou un long-métrage.

« Back for the Funeral » a été inspirée par un passage dans sa ville natale pour deux enterrements qui avaient lieu le même jour, alors que lui et ses amis du secondaire faisaient la navette d’un enterrement à l’autre avant de se retrouver au bar. « Le sentiment qui prenait le dessus sur tous les autres ce jour-là, c’était comment on se sentait tous mal d’avoir autant de plaisir », raconte Woods. « J’écrivais avec Lori McKenna et Matt Nathanson… Et Lori, tu lui lances une idée et elle plonge directement dedans. Même à la première phrase qu’elle écrit, t’es comme « doux Jésus, calme-toi! », dit-il en riant. « Elle a ce don d’aller droit au cœur du sujet avec une intensité complètement débile. Elle écrit comme un scalpel… Il y a quelque chose dans cette chanson qui me fait penser à un chien qui court : chaque phrase est comme sa patte qui touche le sol et le propulse derrière lui. »

Et c’est dans ces moments que la finesse de son écriture est comme une machine bien huilée. « De temps en temps, tu te retrouves dans une zone comme ça quand t’écris », confie l’artiste. « Écrire une chanson, c’est comme marcher sur un fil de fer. Le défi, c’est pas d’essayer d’écrire des phrases géniales, c’est d’éviter d’écrire des phrases de merde. Quoi que les phrases de merde ont un rôle à jouer, des fois, parce qu’elles font encore mieux paraître les bonnes phrases… Écrire une chanson, c’est comme garder le ballon dans les airs continuellement. Et tu le sens pendant même que t’écris : “Oh! on a une chance d’être bon, là.” Mais quatre-vingts pour cent du temps, tu n’y arrives pas et t’as aucune idée pourquoi. »

Woods explique sa raison d’être dans l’écriture de chansons presque par accident dans les premières phrases de Well Read – écrite, ironiquement, à propos de la frustration ressentie quand il a l’angoisse de la page blanche :

I am trying to make something somebody might like [J’essaie de faire quelque chose qui pourrait plaire à quelqu’un]
I am convincing a stranger I’m a nice guy… [J’essaie de convaincre un inconnu que je suis un bon gars…]
I am whispering a secret like a guideline [Je chuchote un secret comme si c’était une directive]

En chuchotant des secrets comme si c’étaient des directives, il ne se fait aucune illusion sur l’ampleur de son éventuelle popularité. « Je sais très bien que ce que je fais n’est pas ce que la majorité des gens veulent quand ils écoutent de la musique », avoue-t-il. « Les gens qui me donnent leur plus honnête opinion sont ceux avec qui j’ai grandi à Sarnia. J’ai envoyé cet album à mon ami Jay et tout ce qu’il m’a dit, c’est “ça donne pas mal le goût de dormir”! », lance-t-il dans un éclat de rire.

« Il y a des gens qui entendent un gars chanter avec sa guitare acoustique et qui se disent « mais qu’est-ce qu’on s’en fout! », rigole l’artiste. « Et tu ne peux rien contre ça! »