Quatre membres de la SOCAN sont en nomination pour le Prix Iris de la Meilleure musique originale au Gala Québec Cinéma, dont la 19e édition aura lieu le dimanche 2 juin, sur les ondes de ICI Radio-Canada télé. Leur travail en trois questions.
Philippe B pour Nous sommes Gold d’Éric Morin
Première mise en nomination pour l’auteur, compositeur et interprète Philippe B, dont la feuille de route en tant que compositeur de musique de film est encore verte : une musique pour un court-métrage signé Simon Laganière, une première musique originale pour Chasse au Godard d’Abbittibbi, autre long-métrage réalisé par son ami Éric Morin qui, dans une autre vie, jouait de la batterie dans le groupe Gwenwed, avec Philippe B.
Quels ont été les plus grands défis relatifs à la composition de cette bande originale ?
Le défi particulier à ce projet et que je ne retrouverai pas dans aucun autre, c’est qu’on fabrique un band. On invente un groupe de toutes pièces, et je devais composer les chansons d’un groupe qui n’existe pas, avec un chanteur hypothétique – j’ai dû commencer à composer les chansons avant même que le financement du film ait été complété, de sorte que je n’avais encore aucun casting [pour m’aider]. Mon lead singer, je n’avais aucune idée de qui c’était, je ne connaissais pas sa voix, sa manière de chanter. Je devais composer les chansons d’un groupe avec sa personnalité propre, mais je ne savais pas si mon chanteur était Ian Curtis ou Robert Smith ou Peter Murphy. Le rôle du chanteur s’est confirmé tard ; or j’ai été chanceux de tomber sur un vrai acteur et chanteur, qui a une voix vraiment singulière – une vraie voix de baryton, assez basse. J’ai dû m’ajuster puisque toutes les voix de mes chansons étaient une octave plus haute!
De quelle manière avez-vous collaboré avec le réalisateur/producteur ?
Éric [Morin] est assez directif, c’est-à-dire qu’il a une assez bonne idée de ce qu’il veut, comme c’était le cas sur son précédent film, alors qu’il voulait une trame assez traditionnelle. Pour ce film, il avait une idée claire de ce que la musique voulait évoquer : la musique d’un groupe des années 90 qui fait de la musique de la décennie précédente, The Cure, Joy Division. C’est un peu le mélange que je recherchais, quelque chose d’axé sur la basse mélodique. Même dans les échanges pendant le processus, il était très précis dans ses indications. Ensuite, ce qui est particulier, c’est que je devais écrire des textes; je n’avais pas l’acteur, mais j’avais le personnage, un scénario, donc une certaine identité qui vivait des choses, des dynamiques humaines. Ça me permettait de partir de quelque chose.
De quoi êtes-vous le plus fier au final ?
Parmi les réactions [vis-à-vis le film] que nous avons reçues, les gens disent que ça a l’air authentique, vrai. Les chansons sont intégrées à l’histoire, pas plaquées dans le film. C’était notre souci dès le départ : même si ce sont des acteurs et pas des musiciens, [l’existence du groupe] devait être crédible.
Frédéric Bégin pour 1991 de Ricardo Trogi
Le compositeur Frédéric Bégin est au réalisateur Ricardo Trogi ce qu’Hermann était à Hitchock : son réalisateur attitré, ayant composé les musiques originales de la trilogie 1981/1987/1991 et d’Horloge biologique (nommée Meilleure musique aux Jutras 2006). Il a remporté trois Gémeaux pour la musique des séries télé Les Étoiles filantes 2 et Le Berceau des Anges.
Quels ont été les plus grands défis relatifs à la composition de cette bande originale ?
Je crois que ça a beaucoup à voir avec le style de film. Composer de la musique pour une comédie dramatique en particulier, c’est délicat. Parce qu’on ne veut pas surligner l’humour au marqueur gras, on doit rythmer la situation, qui peut être dramatique. Et quand y’a des scènes touchantes, il faut que la musique demeure sobre parce qu’on n’est pas dans un grand drame, une tragédie ou un film d’époque, disons. Il faut trouver la bonne sensibilité entre l’humour et le drame et essayer de ne pas en faire plus que ce que les images et le jeu des acteurs suggèrent déjà.
De quelle manière avez-vous collaboré avec le réalisateur/producteur ?
On a fait beaucoup de projets ensemble, Ricardo et moi, il me montre souvent ses scénarios à l’avance, même avant le dernier jet, pour me parler de ses besoins musicaux. Ricardo va me faire travailler d’avance en me montrant des maquettes, ce qui lui permettra de monter son film le plus possible avec des musiques pensées, composées pour le film. Je me sens privilégié de pouvoir travailler avec un réalisateur dès le début [du projet], comme ça je ne suis pas pris avec des musiques existantes que tu dois suivre même si t’avais d’autres idées.
De quoi êtes-vous le plus fier au final ?
En fait, je suis content d’avoir su donner le ton, non seulement pour 1991 mais aussi pour les trois films de la série, et aussi d’avoir su donner le bon ton pour chaque scène spéciale – je pense par exemple à la scène en noir et blanc à la fin de 1991, celle-là sur la perte de cheveux du personnage campée sur une musique style film d’horreur des années 70. L’exercice de style, mélangé à la trame que j’avais déjà commencé à créer sur 1981 et 1987. On passe d’un style à l’autre, certes, mais tout se tient.
Peter Venne pour Avant qu’on explose de Rémi St-Michel
Première mise en nomination au Gala Québec Cinéma pour le compositeur de musiques de film Peter Venne, qui depuis 2013 couche ses œuvres sous les images de documentaires, courts et longs-métrages, pour des réalisateurs québécois et d’ailleurs.
Quels ont été les plus grands défis relatifs à la composition de cette bande originale ?
Avec un film comme Avant qu’on explose, les gens vont d’abord voir le contenant – un film d’ados, une comédie – et occulter toutes les qualités qu’il peut avoir, c’est d’ailleurs un film assez sérieux au final. C’est un peu la même chose pour la musique : faire de la musique pour une comédie, c’est faire une musique plus utilitaire, au service d’un gag, d’un punch. En comédie, il faut parvenir à sauter d’un style à l’autre, des passages plus classiques, du calypso, du rock, du swing… La comédie, c’est difficile.
De quelle manière avez-vous collaboré avec le réalisateur/producteur ?
Première chose, Rémi St-Michel est un bon ami, j’ai fait la musique de ses premiers courts-métrages et c’est un des gars avec qui j’ai le plus collaboré dans ma carrière. Alors, on a déjà un niveau de confort ensemble, si bien que le travail a été hyperfacile et harmonieux. On a fait ça entre amis, malgré le fait qu’il avait un budget de 4 millions et beaucoup de pression sur lui, on ne s’est pas empêchés de faire nos niaiseries comme quand on faisait nos courts-métrages avec zéro budget, pour le fun. Y’a des jokes assez niaiseuses dans son film qu’on a souligné [en musique] de manière assez niaiseuse, même si on avait un budget et un standing. On a suivi notre instinct!
De quoi êtes-vous le plus fier au final ?
Avec ce film, on était davantage dans un film apocalyptique que dans un film d’ado. Il fallait faire une transition musicale sans heurt, et ça a bien été parce que ce film est bien monté. La musique a besoin d’être tricotée avec l’image. Enfin, je suis fier que ce film ait été aussi le fun à faire : réussir à faire un gros projet tout en gardant l’expérience agréable.
Philippe Brault pour La Disparition des lucioles de Sébastien Pilote
Non seulement s’agit-il de la première mise en nomination d’un prix Iris en carrière pour le compositeur, arrangeur et réalisateur Philippe Brault, c’était aussi la toute première musique originale pour un long-métrage de fiction qu’il a eu l’occasion de concevoir.
Quels ont été les plus grands défis relatifs à la composition de cette bande originale?
À la base, le défi était de composer une musique très orchestrale, en prenant pour référence des musiques de film classiques, tout en respectant un budget de film indépendant québécois, ce qui implique de trouver, beaucoup de solutions sur le plan des orchestrations… J’ai donc passé beaucoup de temps avant d’écrire à étudier des musiques de film, même les influences de ces musiques – par exemple, j’ai même étudié Wagner, qui a beaucoup influencé le style de Bernard Hermann. J’ai fait mes devoirs. Ensuite, je devais m’assurer que le ton de cette musique orchestrale pouvait convenir au type de film.
De quelle manière avez-vous collaboré avec le réalisateur/producteur ?
Ça s’est passé de la manière que je préfère et que je n’ai pas toujours connu dans des contextes de composition de musiques à l’image que j’ai faites, qui n’étaient pas des longs-métrages, mais quand même : j’étais en discussion avec Sébastien [Pilote] bien avant le début du tournage. J’ai même pris part au dépouillement du scénario avec l’équipe, j’ai donc été impliqué très tôt et je trouve ça très payant puisque même avant le début du montage, je pouvais fournir des premières idées, des maquettes. C’est un procédé qui me plait beaucoup et qui ressemble au travail que je fais pour la danse et le théâtre, où y’a plus d’interactions.
De quoi êtes-vous le plus fier au final ?
D’abord, c’est un beau cadeau, ce projet. Le film laisse beaucoup de place à la musique, et lorsque celle-ci survient, elle n’est pas seulement derrière les dialogues. Ce qui est sûr, c’est que je suis content de constater que cette musique amenait quelque chose pour vrai, qu’elle amenait le film ailleurs. Juste signer une première musique de film complète, pour moi, c’est déjà quelque chose dont je suis content.