On demande trop de permissions selon Jérôme 50. Il ne faudrait qu’avancer, y aller et voir ce qui survient. Après un album acclamé, La hiérarchill, sorti à la fin de 2018 et prônant un retour au calme, Jérôme 50 fait parler les enfants et réinvente les codes de la comptine avec Le camp de vacances de Jérôme 49, un album où il se donne tous les droits.
Si tu aimes le soleil, tu tapes des mains, mais si tu ne l’aimes pas tu fermes les yeux, tout simplement. C’est ce que suggère l’auteur-compositeur-interprète issu de la banlieue de Québec sur son plus récent album-surprise. « Je ne sais pas si les chansons de camp m’ont marqué, mais quand j’ai une idée et que je veux la faire je la fais, annonce d’emblée Jérôme. Les gens ont des idées et ils ne mènent pas à terme leurs projets. »
L’idée d’inclure de véritables voix d’enfants sur les chansons était un impératif pour lui. Pas question de faire les choses à moitié. Les pièces expriment ce grand désir de liberté émanant de sa jeunesse « pauvre en liberté et riche en fausses libertés ». « MØ a sorti un album démo en 2009, qui s’appelle A Piece of Music to Fuck to. Elle y parle de la déchéance de la jeunesse et elle le fait en étant libre de contraintes, sans peur des mots, explique-t-il. C’est un peu ce que je voulais faire avec ce projet-là. »
Les limites sont en effet inexistantes, notamment lorsqu’il fait dire à des enfants anonymes des propos très crus ou échafaudés sur des opinions politiques.
« Le trafic rend hystérique en banlieue de Québec. Oh hé ! Hé oh ! En banlieue de Québec. Les plus wacks votent pour la CAQ en banlieue de Québec. Oh hé ! Hé oh ! En banlieue de Québec. Les p’tits bums se tirent des bongs en banlieue de Québec. Oh hé ! Hé oh ! En banlieue de Québec. »
C’est ce qu’on peut entendre sur la chanson En banlieue de Québec. « Les parents ont été super smatts et la chorale qu’on a choisie aussi, raconte Jérôme. Je crois que le système et la Terre ne vont pas bien. Le Québec est vieillissant et il a besoin de se faire brasser. Les jeunes n’ont pas assez la parole. Le fait que la CAQ soit au pouvoir, ce n’est pas un bel air d’aller. Je me suis donné le droit, c’est tout. »
Comme beaucoup de ses amis, Jérôme vient de la banlieue et il ressent une oppression ou une part d’endoctrinement liée à cet état. Il soutient qu’il est temps que l’on cesse d’imposer des idées « pas bonnes pour les jeunes ou pour l’humanité ». « 35 h semaine avec un condo et un fonds de pension, c’est pas vrai, ça. Il faut faire des études collégiales pis un bac ? Pourquoi on nous a dit ça ? On nous sacre une vérité alternative devant les yeux. Tu vas au centre d’achats et une pub de l’Université Laval est devant toi pendant que tu pisses. C’est écrit “Nos étudiants ont un meilleur avenir”. Moi je dis non. »
Refaisant son propre monde en déconstruisant les comptines qu’on scandait au camp durant l’enfance, il fait l’éloge de la simplicité. « Je ne les réinvente pas parce que je crois qu’elles nous ont menti. Je crois plutôt que les chansons pour enfant sont négligées, elles n’ont pas leur juste place dans le monde des intellectuels. Ça a une grande valeur pour moi de ramener ça vers le haut. »
La hiérarchill, quant à elle était plutôt un pari pris face aux tendances sociales. « La technologie nous aide à ne plus faire d’effort, soutient Jérôme. On est de plus en plus dans l’immobilité et dans l’inaction. L’humain court à sa perte. Il a une chance de se rattraper et c’est de prendre ça cool. »
Si certains artistes n’arrivent pas à voir plus grand que ce qu’ils ont déjà en main, Jérôme 50, dit vouloir écrire les plus grands hits de l’histoire de l’humanité. « Je veux écrire pour Céline Dion et Éric Lapointe, affirme Jérôme, le plus sérieusement du monde. Dans dix ans, ils vont tomber sur mon album de camp et ils vont pogner un esti de deux minutes. »
« Pour le premier album, j’écrivais de manière spontanée, je laissais ça dormir trois mois, je réécrivais un couplet et ainsi de suite. Pour Le camp de vacances, j’ai utilisé beaucoup de produits de la SQDC. Pour les paroles de ma version de Trois petits chats, ça m’a pris 48 heures, ben buzzé. Y’en a qui disent que ça sert à rien, la drogue, moi ça me sert à ça. Sinon, j’aime ça quand les couplets viennent soutenir le refrain avec des jeux d’esprit mélangés aux rimes. Dans un couplet avec des rimes ABAB, j’aime que le dernier B soit un clin d’oeil au refrain, comme dans Wéke n’ béke où je dis que l’avenir appartient à ceux qui se lèvent stones. J’aime prendre les règles, les recréer et les crisser dans le feu à même la toune. Je pense que quelque chose qui est assez flagrant, ce sont les oneliners, comme prendre une douche, je t’aime tellement que je vomirais, etc. Je fais juste prendre une phrase comme ça et je la répète. Je construis mes chansons comme ça parce que j’ai pris cette habitude dans le travail d’Angus and Julia Stone. »
Pour arriver à faire des grands hits, sa stratégie est simple: il écoute en boucle durant plusieurs jours des chansons qui ont eu énormément de succès. « Ces temps-ci, c’est I’m Blue de Eiffel 65. Avant c’était What A Wonderfull World. Pour écrire des bonnes chansons, il faut faire ça simple, croit-il. Le minimalisme est à la mode. Les Beatles ont compris ça avec Let It Be.
La websérie de Rosalie Vaillancourt Avant d’être morte est un peu à l’origine de la chanson La chaise musicale, de Jérôme 50, d’où sa présence sur scène et dans le clip. « Dans le premier épisode, elle joue à la chaise musicale avec une petite fille. La veille, mes amis et moi on jouait à la chaise musicale dans un party et quelqu’un a tiré une chaise. J’ai pris en note “comportement antisportif”. Les astres étaient alignés pour que j’écrive ça le lendemain, exactement pour Rosalie. Je me rappelle avoir loué un atlas géographique pour m’approvisionner en noms de villes. »
Les dénonciations de Jérôme ne sont pas toutes énoncées, sa vérité n’est pas complètement révélée. « J’ai dit tout ce que je pensais, mais Céline avait tort en disant On ne change pas. Ma perception des choses pourrait changer. Mais sinon, j’ai envie de parler de communication. On est dans une époque où la communication n’a jamais été aussi importante. On communique toi et moi, mais en ce qui concerne l’amour, on est tellement bourrés de problèmes. Il y a des non-dits, des interactions qui manquent de sens. »
Jérôme travaille sur un livre et il a déjà huit chansons en banque pour le prochain disque, mais son plus grand projet des prochaines semaines sera de « retranscrire les dialogues du film Mommy pour pouvoir le réciter sur demande. »