Le troisième album de Klô Pelgag débute à la fin. L’autrice-compositrice-interprète s’est noyée dans la fin des choses, le tourbillon d’un succès qui ne vient jamais sans effort. Sur Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, l’artiste se baigne avec aisance là où l’eau avait jadis tout fait déborder.
« Un album, ça parle de nous à un moment précis et en même temps on veut en faire un intemporel. C’est une contradiction difficile à atteindre, mais j’aime les défis », assure Klô Pelgag. Notre-Dame-des-Sept-Douleurs s’est dessiné à la fin de l’été dernier alors que quelque chose de clair commençait à poindre à l’horizon pour l’artiste. Après L’alchimie des monstres et L’étoile thoracique, il ne restait plus rien. Elle avait tout donné et elle n’avait gardé que la peur de la suite.
« C’est malsain de faire un album et faire 300 shows après, raconte la chanteuse. Des gens s’imaginent qu’on est dans un autobus glamour. La vérité, c’est que t’es 7-8 dans un véhicule de location avec du stock par-dessus ta tête. C’est très épuisant. » Si les histoires de Klô sont si riches et ses images si précises, c’est qu’elle prend le temps de s’y immerger complètement. « La tournée, c’était une roue qui ne s’arrêtait plus jamais et je n’avais plus d’espace mental pour juste réfléchir. »
L’épuisement est survenu, puis le courant créatif a rejailli en 2019. L’hiver 2020 a commencé avec la naissance d’une fille pour Klô Pelgag et son amoureux Karl Gagnon (Violett Pi) à la mi-janvier, mais la mi-février, elle, a emporté le papa de Klô qui souffrait d’une maladie dégénérative. La vie a installé sa montagne russe avant même que la pandémie prenne ses aises. « J’ai souffert de son départ bien avant qu’il parte. Ça faisait longtemps que je le voyais souffrir du deuil de son corps », laisse-t-elle tomber. Elle aborde d’ailleurs ce départ long sur La fonte avec une simple mélodie de piano : Maintenant, je te demande laisse-moi partir à l’ombre de mon corps. Il n’est plus le mien.
« C’était une chanson nécessaire parce qu’elle fait partie de la souffrance que j’ai traînée et ça a été très difficile à accepter. C’est la seule chanson de l’album que j’ai laissée plus simple. Je ne voulais pas camoufler le propos. »
Un nouveau village
L’album porte le nom d’un village tout petit qui effrayait Klô, enfant, mais qu’elle s’est donné les moyens de voir sous un jour lumineux. Comme un village entier, le troisième disque de l’artiste est distinct. Il s’érige sur une terre familière, mais tout ce qu’on y trouve est nouveau. Chaque album de Klô Pelgag est un village nouveau qui nous rappelle un endroit où on est déjà allé.
« Je suis contente que tu le vois comme ça, parce que c’est vraiment ça que j’ai toujours voulu faire, dit Klô. Quand j’ai sorti mon deuxième album, on reconnaissait des choses du premier, mais j’ai permis aux chansons d’évoluer durant la tournée avec mon band. À la fin, déjà, je savais que je voulais m’éloigner des cordes qui étaient centrales sur L’étoile thoracique pour aller vers quelque chose de plus groundé. Je voulais de la violence et du gras dans le son. Je n’avais jamais tant ressenti le fait de vouloir exprimer quelque chose. »
C’est Sylvain Deschamps, fidèle au poste de coréalisateur depuis le premier disque qui « reçoit » encore toutes les idées. « C’est précieux, en musique, d’avoir des collaborations aussi significatives parce qu’au-delà du désir de performance, il faut avoir l’humilité de faire cheminer les idées des autres, explique la musicienne. Ce qui me fait le plus peur, c’est toujours la technique. Je n’écris pas et je ne lis pas la musique, mais j’ai l’oreille très aiguisée. Sylvain m’a beaucoup aidée à me sentir plus forte dans tout ce que je n’ai pas encore compris. »
Étienne Dupré, François Zaïdan, et Pete Pételle se dressent en garde rapprochée. Musiciens chevronnés, ils font partie du grand casse-tête qui a permis à Klô de se reconstruire. Owen Pallett signe également l’arrangement des cordes sur À l’ombre des cyprès et J’aurai les cheveux longs, puis les arrangements de cuivres sur Soleil, puis Klô Pelgag a arrangé elle-même les cordes. Elle perçoit cet album comme une « accumulation », quelque chose qui a grandi en elle au cœur de l’intensité. « Je voudrais que tout le monde puisse saisir le travail et les textures et qu’ils finissent par voir dans la musique toutes les bulles sonores et les mouvements que ces gens-là ont su créer. »
Bordé par deux pièces instrumentales au début et à la fin, Notre-Dame-des-Sept-Douleurs a besoin de volume et d’espace. On y découvre des perles chaque fois qu’on le laisse se déposer devant soi. « C’est sûr que je voudrais que les gens l’écoutent en fumant la pipe devant la mer au coucher du soleil ou dans un champ, la bouche beurrée de fruits, couchés au milieu des queues de fraises, mais je pense que ce qui est cool c’est qu’on puise l’écouter de mille façons et que ça fit toujours. »
Le troisième album de Klô Pelgag est le plus intime du trio. Et si le précédent disque nous présentait Édelweiss, on fait ici la rencontre de Rémora et d’Élise, des personnages qui portent les textes des chansons aussi fermement que s’ils étaient au cœur d’une épopée en dix tomes. « Ces personnes, c’est toujours moi, sans se limiter à moi. Je trouve ça intéressant de me voir d’un point de vue extérieur. Ça me permet d’être tout ce que je veux et de dire des choses que je n’oserais pas dire. »
Plus on écoute l’album, plus les histoires de chacune des pièces se dessinent sous nos yeux. Klô Pelgag réussit encore à nous montrer la couleur de tout ce qui a toujours été noir ou blanc. « Je suis peut-être prédisposée, dit-elle en riant. C’est un genre de lâcher-prise sur le cerveau, écrire ces chansons-là. Quand je compose, je sais que je ne vais pas me juger et c’est souvent à ce moment que l’image arrive. »
Après la chute
Même si Notre-Dame-des-Sept-Douleurs part de la chute de soi, Klô ne ressent pas la légitimité de brandir le drapeau de la santé mentale et croit que, dans plusieurs situations « il faudrait juste garder le silence ». « Je fais seulement des chansons et la musique qui parle de détresse, c’est déjà un rôle social. Si je chante à ce sujet-là, je n’ai pas besoin d’en parler. Il y a une démesure dans l’idée de faire défendre des causes par les artistes. Il y a des gens qui passent leur vie à faire des postdoctorats sur les sujets dont parlent mes tounes. On devrait leur donner le micro à eux », croit-elle.
Et il y a certes des zones obscures dans les sept douleurs de Klô, notamment dans À l’ombre des cyprès où elle demande carrément à être enterrée. « Oui, c’est une toune de suicide même si c’est groovy, mais, tu sais, je parle souvent de la mort, même si je souris », affirme l’artiste. L’aspect enfantin et les couleurs vives de la pochette de L’alchimie des monstres nous conduisaient d’ailleurs dans ce bateau de contrastes qui nous faisait hisser un nom, un visage et une douceur « au plus haut des mâts » du cœur. « Oui, je parle souvent d’un grand mal-être et la vie, c’est toujours un peu ça. Il y a des jours où tu lis ce qui se passe dans le monde et t’as mal à l’humanité et même à ton corps et après ça tu vas au marché et tu manges une fraise de saison et tu te dis wow la vie, c’est tellement beau. Quelqu’un a volé mon géranium sur ma galerie il y a deux ans, mais en même temps il est parti avec des fleurs et j’espère qu’il va le mettre chez lui, qu’il va être content », se console-t-elle, amusée.
Si Rémora est la pièce qui « installe » le plus ses capacités de musicienne dans le moment présent, pratiquement toutes les autres chansons démontrent un savoir-faire original et des idées d’assemblage que Klô Pelgag n’avait jamais eus avant. « Je ne me serais jamais douté de tous les évènements qui font que je me suis rendue à cet album », dit simplement Klô.
Dans la vidéo qui présente la genèse de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, on parle du village « avant » et du village « après » : la première représentation étant beaucoup plus troublante que la réalité douce qui s’érige ensuite. Et l’album se place-t-il avant ou après? « Pour moi c’est un grand pont entre les deux, c’est l’album du processus, du passage, soutient Klô Pelgag. C’est sombre et c’est transparent, ça fait mal, mais c’est super affranchi. Je me suis débarrassée de beaucoup de béquilles, de malaises et d’angoisses. »
Elle savait a priori que la vie d’artiste serait difficile « mais ça n’a pas été difficile pour les raisons qu’on m’avait données », dit-elle. « J’ai longtemps eu besoin qu’on me donne la confiance, mais en ce moment je chemine vers la confiance que je n’ai pas besoin qu’on me donne. Je ne suis pas prête à me laisser flotter sur un matelas très confortable. Il y a de très bons côtés à constamment douter. »