Shun beh nats’ujeh (We Are Healing Through Songs, librement, nous guérissons grâce aux chansons), la nouvel album de Kym Gouchie, célèbre artiste, conteuse, ambassadrice culturelle et aînée en formation de la Première Nation Lheidli T’enneh, propose un bouquet de chansons où se côtoient des berceuses qui apaisent l’âme, des chants autochtones et des pièces qui mettent le feu à la baraque. En 2019, elle a remporté le prestigieux Prix Étoile Stingray deux ans après la parution de Northern Shining Star Woman.
L’arbre généalogique de l’artiste comporte des branches Lheidli T’enneh, Secwépemc, Crie et européenne, et sur ce nouveau projet, elle chante autant dans ces langues ancestrales qu’en anglais. We Are Healing Through Songs est un album pour les auditeurs de tous âges et axé sur la famille, et cela n’a rien de surprenant puisque Kym Gouchie est elle-même une fille, mère et grand-mère dévouée en plus d’être une ardente défenseuse de sa communauté Lheidli T’enneh. « Je suis du peuple où les deux rivières se rencontrent. C’est là que je vis. On appelle parfois cet endroit Prince George », dit-elle de l’endroit où elle habite.
Sa famille a également influencé et participé à la musique de Shun beh nats’ujeh. « Heartbeat » a été inspiré par le son du cœur de sa mère lors d’un échocardiogramme. « J’ai utilisé le son du battement de cœur de ma mère ; ça représente vraiment mes grands-mères et toute la lignée de ces battements de cœur », explique-t-elle. Le cœur de sa mère n’est pas le seul élément organique de cette chanson. « Je ne sais pas si tu l’entends », dit-elle tout en produisant un son percussif qui rappelle la chanson emblématique de Dolly Parton, « 9 to 5 ». « Ce sont mes ongles. Je les frotte les uns contre les autres et ça sonne comme une planche à laver. »
Gouchie n’a pas manqué d’inclure la langue ancestrale de sa mère, le shuswap, qu’elle se souvient seulement avoir entendu parler par son arrière-grand-mère. « Aucun de mes grands-parents ne le parlait », confie l’artiste. « Ma mère ne l’a jamais parlé. C’est une langue perdue. Les gens cachaient le fait qu’ils étaient autochtones parce que c’est ce que tout le monde faisait. Ça n’avait rien de positif de s’identifier en tant que personne autochtone dans ce temps-là. » Sur « Heartbeat », Gouchie chante, essentiellement, « Je t’aime maman ».
Sur « Atsoo Shun », Gouchie célèbre la sagesse des anciens, l’héritage autochtone et le lien indestructible entre les générations. L’enregistrement met en vedette sa petite nièce Brooklyn Tomlinson et feu sa grand-mère paternelle, Granny Mary Gouchie, a participé à la traduction. Les paroles touchantes de la chanson, traduites de la langue dakelh, évoquent un sentiment de communauté et de lien avec la terre : « It’s a beautiful day and we’re all together. We’re hunting, we’re fishing, and we’re picking berries » [librement : « c’est une magnifique journée et nous sommes tous réunis. On chasse, on pêche, on cueille des baies »].
La riche voix de Kym Gouchie n’est pas sans rappeler le son d’une clarinette et elle renforce l’ambiance déjà jubilatoire de « I Heard a Raven ». La chanson ne contient qu’une seule phrase – une légère expansion de son titre – et c’est un véritable ver d’oreille. « Je traversais un stationnement au centre-ville de Prince George et j’ai entendu quelqu’un dire “hello”. J’ai regardé autour de moi, mais il n’y avait personne », raconte-t-elle. Elle a cru que quelqu’un lui faisait une blague, puis elle a aperçu un corbeau qui la fixait avec la tête penchée sur le côté. L’immense oiseau lui a dit « hello » de nouveau avec une voix très humaine. « J’ai vécu des moments avec les animaux où j’ai l’impression qu’il n’y a pas de barrière entre nous », dit-elle. « Nous ne faisons qu’un, nous faisons tous partie de cette grande création qu’est la vie. Je me suis sentie comme si mon esprit était celui de ce corbeau. »
« Gratitude » met en vedette le rappeur cri et métis EarthChild (Travis Hebert) de la Première Nation de Witset, dans le centre de la Colombie-Britannique. Gouchie a été inspiré par le mot autochtone « snachailya », qui se traduit librement par « Tu as touché mon cœur directement dans ma poitrine ». Gouchie a écrit le texte, mais a laissé tout le reste entre les mains habiles de ses collaborateurs : EarthChild a écrit des rimes puissantes, producteur et gestionnaire de projet Dan Barton a joué de la batterie, du ukulélé et des percussions et Elijah Quinn a joué du clavinet et des guitares acoustiques et électriques.
La pièce émotionnellement complexe qu’est « 215+ » est venue à Gouchie peu après l’annonce de la découverte des tombes de 215 enfants autochtones de l’ancien pensionnat indien de Kamloops. « Cette chanson m’est carrément tombée dessus », dit-elle. « Je conduisais sur l’autoroute en sanglotant et en chantant “Hallelujah”. Je savais que je voulais la sortir pour que les gens puissent se connecter, et, je l’espère, commencer leur deuil, et commencer à vouloir comprendre. »
Kym Gouchie affirme qu’elle accueille ses chansons comme des cadeaux et qu’elle ne suranalyse pas ses textes. Quand on lui demande pourquoi elle utilise le mot « Hallelujah », elle répond « Je pense que c’est à cause de ce qu’on a inculqué à ces petits esprits. C’est un mot qui aurait fait partie de leur vocabulaire, même avec l’anglais approximatif qu’on leur a inculqué. Ce mot représente l’église. Il représente la perte du langage, la simplicité, le pouvoir et l’exaltation de ce mot, et le fait d’essayer d’incarner la façon dont le son est venu. Cette chanson était un cadeau. »
L’artiste fait aussi cadeau de ses chansons à d’autres. Alors qu’elle travaillait avec The Prince George Tapestry Singers, on lui a demandé comment faire une reconnaissance territoriale qui ne ressemble pas à une liste d’épicerie. Elle leur a dit « vous êtes une chorale : chantez-la. » Le premier couplet de ce qui allait devenir « Territory Welcome Song » est venu à l’artiste alors qu’elle rentrait chez elle. « Ça cadrait parfaitement avec ce qui devait se passer », dit-elle. « J’ai fait don de l’utilisation de cette chanson aux Tapestry Singers, et ils la chantent au début de chaque performance. C’est rendu que les écoles l’enseignent et commencent leurs assemblées avec ma chanson. » Gouchie, qui est souvent appelée à se produire lors de cérémonies d’accueil et de rassemblements culturels, commence toujours par la « Territory Welcome Song », mais change les paroles selon le contexte.
L’album de Gouchie, Shun beh nats’ujeh, est un cadeau en soi et il nous offre une expérience transformatrice qui met en valeur le pouvoir de guérison de la musique, et invite les auditeurs à embrasser l’esprit joyeux de l’enfance qui vit en chacun de nous.