Et si la prise de parole musicale était un privilège qu’il fallait exploiter? Le duo La Fièvre, composé de Ma-Au Leclerc et Zéa Beaulieu-April saisit le mandat et en fait son mantra. Les sorcières modernes ont embrassé la mouvance post-punk, y ont injecté leurs inquiétudes environnementales et féministes tout en maitrisant tout ce que l’électro a à offrir, et ce, jusqu’en en demi-finale des Francouvertes cet automne. Leur premier album homonyme paru le 30 octobre nous invite à nous soucier de tout ce qui tombe autour de nous.

La Fièvre« La grande idée derrière notre album, c’est vraiment un sentiment de “faudra faire mieux” », dit Zéa Beaulieu-April, la voix du duo. La crise écologique et les épreuves visant particulièrement les femmes se dressent en piliers dans leurs chansons qui ne sont pas des armes, mais plutôt des moyens de crier et de « sortir de soi » tout ce qui ne va plus.

« On tente de retrouver le sentiment de communauté qu’on a en quelque sorte perdu durant la pandémie, ajoute l’auteure des chansons. Les personnes LGBTQ qui trouvent leur force ensemble dans le fait de se célébrer durant la Fierté, les femmes qui se tiennent debout devant les violences sexuelles, les gens qui militent pour l’environnement… Tous ceux qui dépendent de leur clan et qui ont quelque chose à perdre ou à défendre en ce moment sont brimés par l’isolement dû à la pandémie. » Il y a donc cet appel, dans la musique de La Fièvre : une invitation à se retrouver et à « déborder de son cercle » également. « Dans une pièce comme La crise, ça se remarque encore plus parce que ça dit que si on veut du changement, il faut toucher l’autre pour continuer à avancer. »

Le message porté par les deux filles est aussi vrai dans leur musique que dans leur parcours musical : « vous ne nous tasserez pas ». « Vous ne voulez pas de nous, vous ne voulez pas de notre message, mais on va venir pareil, lance Zéa. On n’a pas l’intention de se tasser. »

Ma-Au avait une formation en guitare classique et Zéa trimbalait son djembé. En secondaire 5, c’est pour cette raison que leurs chemins se sont joints. « On a décidé de faire une toune sur l’accessibilité à l’eau potable pour Secondaire en spectacle et non, ce n’était vraiment pas de l’électro, notre affaire à ce moment-là. »

C’est en 2017 avec un EP que leur style actuel s’est installé et que le projet a pris forme de manière plus sérieuse. Ma-Au, qui avait laissé tomber la guitare pour s’intéresser au piano a découvert les synthés. « Elle a commencé à fabriquer tous nos sons. C’est tellement un art à part entière. Et puis j’ai écrit des textes qui allaient dans le même sens que tout ce qu’on aime : de la pop électro assez enragée », se souvient Zéa.

Sorcières de la modernité, elles se reconnaissent dans le tarot, l’astrologie et les systèmes occultes. « On trouve qu’il y a quelque chose de très inspirant là-dedans et c’est vraiment lié au féminisme, assure-t-elle. Se dire sorcière, c’est se placer dans une lignée de femmes qui ont été mises de côté parce qu’elles étaient à l’aise avec leurs pouvoirs de guérison et leur sexualité. Pour nous, c’est lié avec notre engagement envers l’écoféminisme. Ça ressemble beaucoup à ce qu’on est et à ce qu’on fait. »

La musique de club et l’électro ne sont pas des musiques que l’on associe souvent à un discours engagé, mais Ma-Au et Zéa souhaitent rappeler que « tout se peut ». « En fait, c’est un gros travail de recherche de son. Les sons qui sont dans l’album ont été créés de A à Z par Ma-Au avec des instruments ou de la programmation. C’est un son créé à partir de rien et c’est vrai que d’un œil extérieur, ça semble plus simple que de gratter une guitare, mais c’est tellement le contraire », confirme Zéa.

Tout est malléable dans leur travail, Zéa travaillant les thématiques d’un côté et Ma-Au préparant des rythmes chez elle. Puis, les deux se rejoignent et les rendez-vous entre le son et les mots deviennent une manifestation de tout ce qui pourrait exister si on s’unissait. « Je sais programmer et Ma-Au sait écrire donc beaucoup de partages sont possibles dans notre duo », confirme Zéa.

La Fièvre est persuadée que le sentiment de communauté n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui et la fermeture des salles de spectacles empêche, depuis plusieurs mois, les messages de voyager. « À la base, on avait prévu lancer notre album dans un club échangiste en mai dernier. On trouvait ça chouette de rencontrer des gens qu’on ne connait pas, d’aller entendre des gens qu’on n’avait jamais entendus, dit Zéa. On a dépensé tout ce qu’on avait et encore plus pour amener cet album dans le monde et on fait face à une impasse. »

La musique qui tente d’exister en ligne a ses limites et pour Zéa, « c’est artificiel, rapide et ça semble incomplet. » Croisons donc les doigts et utilisons encore à outrance, l’expression qui s’érige dorénavant au cœur de l’industrie musicale comme un défi, une menace ou un espoir : « il faudra se réinventer ».