Son pseudonyme, c’est Anatole, mais vous pouvez maintenant l’appeler par son vrai nom, Alexandre Martel. Sur son troisième album homonyme, l’auteur-compositeur-interprète originaire de Québec laisse tomber son masque pour mieux renaître.
C’est après avoir réalisé certains des albums québécois les plus marquants des quatre dernières années (ceux de Hubert Lenoir, de Lou-Adriane Cassidy et de Thierry Larose, parmi tant d’autres) qu’Alexandre Martel a remis en question sa carrière d’artiste, telle qu’il l’entrevoyait à ses débuts.
« Le fait de collaborer avec eux, de réaliser leurs albums, ça m’a confronté à différentes visions de ce que c’est une chanson. Chaque rencontre m’a influencé », explique-t-il. « Et à graviter autour du succès [de certains de ces artistes], à travailler dans un rôle de second plan, je me suis rendu compte que le spotlight était moins important pour moi que je le pensais. Je me suis retrouvé accompli dans mon rôle de réalisateur, dans mon rôle de création. Je ne sentais plus le besoin d’écrire comme quand j’avais 20 ans. »
Anatole a dû reprendre l’écriture – un peu par obligation – dans le cadre de Boutique Pantoum, une série de captations vidéos organisée l’an dernier par ce complexe de création musicale de Québec (Le Pantoum). « Au début, je voulais refaire mon vieux matériel, mais c’était pas le concept de la vidéo… J’ai écrit des tounes juste pour ça. Après quatre années sans écrire de musique. »
Tranquillement, son alter ego Anatole, reconnu pour sa musique électro-pop froide et ses mises en scène théâtrales, lui paraissait moins intéressant à reprendre dans sa forme initiale. « Après la tournée de Testament (deuxième album, paru en 2018), y’a eu une écoeurantite de ce qu’on faisait », admet-il, évoquant la nature même de ce projet élaboré aux côtés de plusieurs amis, dont le coréalisateur et arrangeur Simon Paradis.
« Au départ, on voulait déjouer les attentes que les gens ont normalement en allant voir un concert rock. Mais en faisant constamment ça, on a créé une nouvelle catégorie d’attente. On a créé une surenchère qui a pu de fin. J’avais envie d’arrêter tout ça. Je voulais faire un 180 degrés, explorer une autre avenue. »
Le personnage d’Anatole a donc pris un nouvel élan. Il est moins exubérant, plus terre-à-terre qu’avant. « Je voulais amoindrir le rideau entre le personnage et moi. Je voulais rendre la frontière la plus fine possible… sans nécessairement dire que cette frontière-là n’existe plus. C’est là que m’est venue l’idée de mettre plus de voix, plus d’harmonies [vocales]. C’est une façon de ramener l’humain au centre de tout ça. De dépasser le cadre artificiel de la musique [que je faisais avant]. »
L’absence de titre de chansons (toutes nommées par un chiffre) est en phase avec l’essence de cet album concept. « Je me suis dit que, si j’étais moins en ‘’représentation’’ [dans mon personnage], les chansons, aussi, devaient moins l’être. Les tounes ont donc été numérotées [dans l’ordre qu’on les a créées]. »
Les neuf chansons qu’on retrouve sur ce troisième album, judicieusement intitulé Alexandre Martel, sont davantage tournées vers le folk, le rock et la pop jazzée des années 1970. La complicité entre Anatole et ses fidèles collaborateurs et collaboratrices (notamment les multi-instrumentistes Jean-Étienne Collin-Marcoux, Antoine Bourque ainsi qu’une certaine Lou-Adriane Cassidy) est mise de l’avant non seulement dans les harmonies vocales, mais aussi dans l’essence des compositions.
« C’est l’album le plus collaboratif que j’ai fait. À l’époque, Simon [Paradis] et moi, on faisait des maquettes détaillées de tous les arrangements et, après, on enregistrait avec le band. Là, j’arrivais avec des tounes plus schématiques. J’avais une direction préméditée – je voulais quelque chose d’axé sur la guitare acoustique avec des voix et moins de synths – mais l’arrangement naissait en studio. On pouvait s’asseoir à 4-5 pour trouver une ligne de guit’ sur quatre mesures. C’est parfois difficile de savoir qui a fait quoi. »
Cette nouvelle façon de travailler s’arrime aux paroles de l’album. Les textes d’Alexandre Martel évoquent cette idée de nouveau départ, de renaissance, de cycles brisés. « Les textes viennent amplifier le sentiment que la musique déploie déjà. J’ai été vers des paroles plus personnelles, en phase avec mon intention de faire un album [plus organique], centré sur l’humain. Je voulais une œuvre cohérente – musique et paroles. Ce que je faisais avant était plus froid et distant. Là, j’essaie d’interpréter [mes chansons] avec une émotion qui est plus proche de l’authenticité. »
À ce sujet, l’écoute du plus récent album de la formation folk montréalaise Bolduc Tout Croche, paru au début 2022, a été tout particulièrement inspirante pour Anatole. « La chanson D’où c’que j’viens m’a beaucoup touché. Le texte est simple, mais il en dit beaucoup. Y’a une tragédie du quotidien là-dedans, une manière de trouver la beauté et la grandeur dans le minuscule du quotidien. Ma chanson Toune 9, c’est mon hommage à [Bolduc Tout Croche] », explique Martel, à propos de cette pièce aux passages autobiographiques, racontant son attachement à son quartier Limoilou.
Toujours dans cet esprit de renaissance, Anatole touche à une corde plus politique ou, du moins, plus engagée sur la très accrocheuse Toune 2. « C’est comme une critique de ce que j’appellerais la pensée Instagram et le partage de slogans vides », dit-il, évoquant les concepts et les mots tendances que les gens et les compagnies reprennent pour se donner bonne conscience en ligne. « Y’en a beaucoup qui utilisent ça pour se valider dans leur non-implication, en se construisant une espèce de faux militantisme. La toune, elle dit d’aller au-delà de la surface, de dépasser le cadre. »
En dépassant le cadre de son propre personnage, Anatole peut se targuer d’avoir prêché par l’exemple sur son nouvel album.