La musique est le choix conscient que Maude Audet a fait il y a dix ans. Son troisième album, Tu ne mourras pas, se présente comme une déclaration envers le métier qu’elle a choisi et qu’elle a appris. On y trouve aussi l’impératif de redessiner le portrait du quotidien après le départ de ce qu’on aime. À l’image de Boris Vian dans L’Évadé, Maude Audet lance une demande large et solide au vide: « Pourvu qu’ils me laissent le temps ». Le temps de vivre, le temps de ne pas mourir et celui de réapprendre à s’aimer autrement aussi.
Sur la pièce Nos bras lâches, Maude Audet parle de cet endroit qui n’existe plus et où « on avait le temps ». « Mes nouvelles chansons parlent de ce qui se passe après que tu n’aies pas réussi, explique Maude. Ça n’a pas marché, mais t’es pas mort. Ça nous amène à une renaissance, à un endroit où on n’aurait pas pensé être. Je parle des deuils, mais pas seulement de la mort; des deuils qu’on doit vivre quand on réalise qu’on n’aura pas la relation qu’on aurait voulue avec quelqu’un.»
C’est ainsi que la chanson-titre a donné le ton et le sens à l’œuvre. « Quand on perd quelqu’un, une façon de le garder vivant, c’est de se rappeler son rire et sa voix. C’est un peu ce que je dis. » Lors du Festival Coup de cœur francophone en 2018, Maude avait reçu une « carte blanche » pour ériger un spectacle multi-émotionnel avec de nombreux collaborateurs. On y avait entre autres vu son conjoint, l’auteur et comédien Fabien Cloutier qui avait livré un touchant texte teinté d’humour concernant son père. C’est à travers ce regard rivé sur ce qu’il reste après les départs que Maude Audet a donné naissance à Tu ne mourras pas: « Et mes rêves deviendront notre escale une trêve aux vides des départs. Je saurai me rappeler la douceur de ta voix qui me dit que pleurer m’apaisera. » C’est aussi au cœur de ces rencontres planifiées, mais fortuites, sur la scène de la Maison de la culture Maisonneuve, que le lien s’est tissé avec Philippe B qui cosigne et interprète avec elle Couteau de poche.
Il y a dix ans, Maude prenait la décision de la musique à tout prix. Après une carrière de scénographe, c’est « sur le tard » qu’elle s’est lancée dans le vide pour prioriser la chanson. « La scénographie, c’est un métier très difficile et précaire. J’avais une belle reconnaissance des gens autour de moi, mais je continuais à travailler à un niveau modéré. Si j’avais fait des costumes pour Robert Lepage et que j’avais voyagé à travers le monde, que mes affaires avaient marché, je n’aurais peut-être pas fait ce choix, je ne serais peut-être pas aussi heureuse aujourd’hui », estime celle qui considère être là où il le faut et au bon moment.
« J’ai appris ce métier-là en le faisant et là, ça fait 10 ans, lance l’auteure-compositrice-interprète. Il y a 10 ans, je pouvais à peine faire 3-4 accords de guitares. Quand on y pense, c’est un peu fou que j’aie décidé de faire ça. » Alors que bon nombre d’artistes de la chanson maîtrisent leur instrument depuis l’école primaire et écrivent des chansons depuis les premiers talent shows scolaires, le départ musical de Maude est un saut dans le vide qui venait avec la nécessité d’un travail acharné a posteriori. Ce fut la décision d’une femme qui se choisit dans la musique. « J’ai suivi des cours de chant et j’ai travaillé mon jeu de guitare. Ma progression s’entend dans tous les aspects. Mais si je me faisais couper les deux mains demain, je trouverais le moyen de créer encore. Je suis une créatrice avant tout. Tout a été faisable, il fallait juste travailler plus fort. »
L’auteure Erika Soucy accompagne encore une fois Maude dans les sentiers émotifs que représentent les textes des chansons. Pour Maude, c’est une constance qui la ramène à sa façon de créer lors de la production de Comme une odeur de déclin (2017). « C’est une chose qui n’a pas changé: un œil extérieur, une plume différente qui a une belle sensibilité, mais qui peut aussi me challenger. »
Son « désir d’aller vers de la pop orchestrale » a poussé Maude Audet à délaisser le côté plus grunge qu’elle portait. « C’est une ligne directrice que j’ai toujours aimée et Mathieu Charbonneau, mon réalisateur, est vraiment là-dedans. » Timbale, gong, flutes, chœurs, basse et guitares. Maude a esquissé en amont tous les arrangements qui, pour elle, s’étalent toujours sous ses yeux au même moment que le texte. « Mathieu a mis en partitions pour les autres musiciens, tout ce que j’avais composé parce que ça me prendrait deux jours écrire une ligne », ricane-t-elle.
L’amour et ses imperfections se placent en acteurs centraux ou en spectateurs dans chacune des pièces et, alors qu’on est encore au début de l’œuvre, Laura, une chanson arrivée « tout d’un trait », nous emballe dans l’amour auquel on donne tous les droits du temps. « Ce sont des gens, plus avancés en âge, qui se permettent de rêver et d’être fous. » Changer du tout au tout, aimer et apprendre toujours ne sont que quelques-unes des leçons que l’on apprendra ici avec Maude Audet.