« J’ai enregistré récemment une émission de Microphone avec Louis-Jean Cormier », raconte au bout du fil l’auteur-compositeur-interprète de Québec, Benoît Pinette, mieux connu depuis 2011, année de la sortie de son premier album Le Fleuve en huile, sous le nom de scène Tire le Coyote. « On chantait ensemble, et j’ai alors réalisé comment lui mettait les accents toniques sur telle ou telle syllabe, alors que moi je mettais l’accent ailleurs dans le texte. C’est drôle comment chaque chanteur a sa manière de faire et d’écrire, non ? »
Chacun sa manière. D’écrire et de chanter. Pendant longtemps, on a dit de Pinette qu’il faisait comme un autre – Neil Young, pour ne pas le nommer. C’est à cause du style musical, mais surtout de la voix, un falsetto perché rappelant le timbre du Young de sa grande époque des années 70, les albums Harvest (1972) et On the Beach (1974) surtout, plus folk, plus intimistes. « Je chante comme ça, et c’est tout », commente Pinette, qui, soyons bien clair, n’a besoin de justifier à qui que ce soit sa manière de chanter. « Quand j’ai commencé ado à gratter la guitare, j’écoutais des groupes comme Radiohead. J’ai appris à chanter comme ça. Je ne force même pas ; je peux donner plusieurs concerts dans une même semaine, ça ne me cause aucun problème de voix ! »
Par contre, sa manière d’écrire, elle, est singulière. Désherbages, son troisième album (sans compter le premier EP, éponyme, paru à compte d’auteur en 2009), semble à la fois le plus travaillé de sa discographie, mais toujours avec cette façon instinctive d’enfiler les mots et les images. Sur le plan du texte, Pinette est un esthète, un impulsif, reconnaît-il.
« J’ai rarement un thème duquel je pars pour écrire, une idée précise à exprimer, explique-t-il. Les phrases, les images, me viennent par bouts, je brode une chanson à partir de ça ». Il a beau chanter sur le ton d’un jeune Neil Young ou de Thom Yorke, il ne peut être que le seul à écrire des strophes telles que celle-ci, au début de Toit cathédrale : « Les clichés ont le vent dans les voiles, à qui la faute / Quand les aimants ne collent plus sur le frigidaire de l’autre », fait-il couler sur cette douce ballade country.
Ou encore sur l’envoûtante psalmodie rock planante Tes bras comme une muraille, l’une des plus belles de l’album, avec Chanson d’eau douce : « J’espère faire valser les vieux fantômes / Jusqu’à la limite de nos origines / Pour qu’on puisse donner au soleil son diplôme / Le ménage se fera sans garantie légale / Je regarde au loin mes fenêtres sont sales / Faudra au moins s’assurer qu’elles donnent sur l’avenir ». La poésie de Tire le Coyote ne ressemble à nulle autre, faite de mots simples qui riment joliment, de belles images qui parviennent à illustrer des sentiments profonds, réels.
Deux exceptions à la règle se cachent sur l’album Désherbages. À la toute fin du disque, la chanson Jeu vidéo, habile adaptation française de Video Games de Lana del Ray – adaptation « québécoise », même, avec des strophes telles que « L’ivresse est « stallée » sur ta peau ». L’autre porte le titre Le ciel est backorder, son sujet est grave, elle va ainsi : « Quand ton corps est une cage où on enferme la maladie / Tu veux reprendre le tirage sous prétexte de tricherie ». Celle-là vient du cœur, « c’est la chanson du disque pour laquelle j’avais une idée claire avant d’écrire le texte ». Un ami gravement malade, régulièrement à l’hôpital, mais aussi un exemple de force et de résilience.
Pour ce nouvel album, Pinette s’est astreint à l’exercice de devoir écrire dans un laps de temps précis, lui qui avait plutôt l’habitude « d’écrire un peu tout le temps, surtout en tournée ». Son précédent album, Panorama (2015), l’avait mené sur la route pendant plus d’un an et demi, l’exposant à un tout nouvel auditoire. « J’ai pris une pause en septembre 2016, raconte-t-il, pour travailler sur le prochain album. C’était la première fois que je faisais ça : me consacrer entièrement à la création. Je m’étais donné l’objectif d’écrire un disque en trois mois, jusqu’en janvier ».
Les sessions de travail ont dû être intercalées de nombreuses distractions, week-ends en campagne avec la famille. Se sortir la tête de la page blanche pour mieux y revenir. Puis réunir ses complices guitaristes Simon Pedneault (qui a réalisé l’album de Gabrielle Shonk) et Benoit Villeneuve (alias Shampouing) pour donner vie à ce disque musicalement plus varié que les précédents, chaque chanson semblant habiter son propre décor, tantôt plus folk dépouillé, tantôt plus rock exploratoire. « J’ai beaucoup écouté Andy Shauf – son disque The Party, sa manière de faire la chanson rock, m’a inspiré ».
L’inspiration est nécessaire. L’important, ensuite, est d’y mettre son propre accent tonique.